« What are little boys made of?
Frogs and snails,
And puppy-dogs' tails;
That's what little boys are made of.
What are little girls made of?
Sugar and spice,
And all that's nice;
That's what little girls are made of.»
Dans un champ, un petit garçon blond d’environ cinq ans, riant aux éclats avec deux fillettes à peine plus âgées que lui, ses sœurs. Les trois enfants courent au milieu des fleurs aux couleurs éclatantes, et, gambadant de l’un à l’autre, un petit agneau affectueux. Ils jouent en chantant une comptine, sous le regard bienveillant de leur mère qui est assise à quelques mètres d’eux et qui sourit. Mais le soleil commence à se coucher, la journée est finie et les enfants doivent rentrer chez eux. La jeune femme se lève et appelle son fils et ses deux filles, qui s’arrêtent immédiatement pour courir vers elle. Le mouton les suit et ils rentrent rapidement chez eux, car l’aînée s’en va le lendemain.
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Quelques heures plus tard, Zachary, Kaïla et Sylia étaient endormis, et Abigaël, leur mère, était assise dans un fauteuil, penchée sur un livre depuis environ une heure. Pourtant, depuis quelques minutes, la femme n’arrivait plus à se concentrer pour lire.
On frappa à la porte, et la mère redressa brusquement la tête, son expression partagée entre la tristesse et le soulagement. Elle se leva rapidement et alla à la porte pour faire entrer ce visiteur tardif. Le battant s’ouvrit sur un homme grand aux cheveux noirs de jais et aux yeux glacés, qui referma le panneau de bois derrière lui, avant d’embrasser une Abigaël qui ne pouvait retenir ses larmes, déjà rongée par le remord. Elle se dégagea et traversa le hall, laissant là l’homme, qui n’était autre que Nathanaël, son amant ; elle monta rapidement mais en silence les escaliers et entra dans la chambre de sa fille aînée, Sylia. Elle s’accroupit au pied du lit de la fillette et déposa un baiser sur sa joue pour la réveiller. L’enfant ouvrit des yeux flous de sommeil et jeta un regard interrogateur à sa mère en larmes.
Quelques minutes plus tard, elles redescendirent toutes les deux et la petite fille regarda Nathanaël en frottant ses yeux embués, sa main agrippant celle de sa mère. L’homme sourit et la prit tendrement dans ses bras, mais le regard qu’il lança à Abigaël était emprunt d’un amusement glacial. Une fois l’homme parti, la jeune femme se laissa tomber dans un fauteuil, et éclata en sanglots, la tête dans les mains.
Le lendemain matin, Sylia n’était pas revenue, mais ni Zachary ni Kaïla ne s’en inquiétèrent. Leur mère était à nouveau souriante et douce, comme à l’habitude, et après tout, leur grande sœur était en voyage, non ?
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Plusieurs mois plus tard, Sylia n’était toujours pas revenue. Son frère et sa sœur ne s’étaient d’abord pas posés de questions, mais après quelques semaines, ils commencèrent à interroger Abigaël, qui contourna habilement toutes leurs interrogation en souriant, répondant qu’elle était en voyage et qu’elle reviendrait bientôt. Mais au fond d’elle-même, la mère savait qu’elle leur mentait et qu’elle n’aurait jamais le courage de leur révéler la vérité. Pour rien au monde elle n’aurait voulu leur faire de la peine ou les blesser, et leur cacher la réalité était, pensait-elle, le meilleur moyen de les préserver.
Alors, tous les deux continuèrent à vivre heureux, pensant souvent à leur sœur mais sans tristesse, puisqu’elle était partie avec des amis, n’est-ce pas ? D’ailleurs, Nathanaël passait très souvent les voir et leur assurait qu’elle allait très bien et qu’elle pensait à eux. Ce que les deux enfants ne virent jamais furent la douleur et la tristesse qui se peignaient sur le visage de leur mère à ses annonces rassurantes.
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Une année plus tard, Sylia était presque sortie de l’esprit de Zachary et de Kaïla et ils vivaient heureux, avec des amis, allant à l’école, et voyant de plus en plus souvent Nathanaël qui se montrait aussi gentil et affectueux que pourrait l’être un père, ce qu’il devint rapidement pour les deux enfants.
C’est le moment que choisit l’amant d’Abigaël pour revenir une nouvelle fois en pleine nuit, et la scène se reproduit presque à l’identique, mis à part le fait que la fillette qui descendit cette fois-ci était Kaïla et non plus sa sœur. La mère était hésitante cette fois-ci, mais ne put que céder à la demande de Nathanaël, qui n’hésitait pas à utiliser son charme pour obtenir ce qu’il voulait.
Dès le lendemain, l’homme emménagea chez la jeune femme et son petit garçon resté désormais fils unique. Mais cette fois-ci, les deux adultes n’avaient pas prévu de réponse aux questions de l’enfant qui s’interrogeait sur la disparition de sa sœur aînée et les éludèrent facilement, car Zachary n’avait encore que sept ans et n’essayait pas d’insister, se disant que ses « parents » n’avaient aucune raison de lui mentir ou de lui cacher la vérité.
Nathanaël devint rapidement un père pour le petit garçon, affectueux au possible, souriant et gentil. Durant quelques années, ils vécurent tous les trois ainsi, heureux, même si parfois Zachary posait encore des questions à propos de ses sœurs, questions auxquelles les parents ne répondaient qu’évasivement.
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- NON !
- Allons Abigaël, tu sais qu’il faut que je l’emmène lui aussi …
- Non, pas cette fois-ci !
Nathanaël et Abigaël se tenaient dans le petit salon de la demeure pendant que Zachary était à l’école. La jeune femme était debout devant la fenêtre et lui était assit sur un canapé à quelques mètres d’elle. Il se leva et la prit dans ses bras en l’embrassant :
- Tu n’a pas le choix … Si tu ne me le remets pas de toi-même … Tu sais bien que je devrais venir le chercher.
Elle le repoussa doucement et s’éloigna de quelques pas. Elle ne voulait pas céder cette fois-ci, même si elle se sentait mal partie. Il ne lui restait plus que son fils, elle avait déjà vendu ses deux filles et ne voulait pas continuer avec le seul enfant qui lui restait.
Nathanaël n’insista pas cette fois-là. La vie continuait de se dérouler paisiblement pour Zachary, qui, âgé de dix ans, obtenait de très bons résultats à l’école. Son père adoptif lui réservait un bel avenir de chirurgien, et bien que sa mère ne fût pas très enthousiaste à cette idée, connaissant un peu trop bien l’homme, Zachary était tout heureux de pouvoir plaire à son père, d’autant que l’idée d’être médecin et de pouvoir sauver des vies lui plaisait beaucoup.
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Finalement, Abigaël céda aux demandes de plus en plus insistantes de son compagnon. L’homme vint donc, toujours pendant la nuit, pour chercher son fils adoptif. Nathanaël poussa doucement le garçon dans un véhicule sombre et referma la porte.
Zachary promena brièvement son regard à l’intérieur avant que la faible lumière extérieure ne soit complètement cachée par la fermeture. L’espace laissé était exigu mais élégant, avec des sièges de cuir couleur crème. La voiture entièrement noire était étrangement silencieuse, comme si elle était complètement isolée du reste du monde ; et l’enfant sentait une sorte d’angoisse qui s’emparait de chacun de ses muscles. Les quelques heures de trajet se passèrent sans encombres, mais Zachary fut tout de même soulagé de voir la lumière du soleil percer à travers l’obscurité qui l’entourait. Il se précipita dehors et se réfugia dans les bras de son père adoptif. L’homme le conduisit dans la grande maison devant laquelle ils se trouvaient et l’amena jusqu’à une chambre qui, sans être très spacieuse, semblait assez confortable pour un enfant de dix ans. Le mobilier était simple mais élégant lui aussi, composé d’un lit de bois clair, d’une commode et d’une armoire de la même matière.
Nathanaël laissa son fils dans la pièce avec un sourire, en lui disant de se reposer jusqu’au soir, quand il viendrait le chercher. Zachary acquiesça en regardant autour de lui, émerveillé par sa « nouvelle demeure ». Il se demandait ce qu’il faisait ici, pourquoi on l’avait amené dans cet endroit pour le moins étrange, mais il était aussi très fatigué. Il n’avait pas pu dormir pendant le trajet, trop mal à l’aise pour se laisser aller dans les bras de Morphée et avait ainsi raté une grande partie de sa nuit.
Il s’avança dans la pièce, enleva son manteau et se glissa entre les draps doux et propres qui garnissaient le lit. Il ferma les yeux en pensant à sa mère et en se demandant s’il la reverrait bientôt et s’endormit rapidement.
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« … toi … veille-toi … Réveille-toi ! »
Zachary ouvrit lentement les yeux, émergeant à grand-peine du royaume des rêves. Quand le monde redevint net devant lui, la première réaction de l’enfant fut un mouvement de surprise. Il n’était pas dans sa chambre, mais qu’est-ce qui s’était passé ?! Dans l’instant qui suivit, il se souvint de la nuit passée, Nathanaël venu le chercher, le trajet en voiture, et enfin la chambre.
Une main le secouait doucement, et le garçon vit qu’elle appartenait à un jeune homme aux traits fins et aux cheveux violets. Celui-ci souriait calmement et se décala de quelques centimètres sur le côté, découvrant un plateau d'argent au regard de l'enfant. Il y avait une assiette remplie de viande froide et de crudités, un grand verre, une carafe remplie de jus de fruit et un morceau de charlotte aux fraises. Le visage du garçon s'éclaira d'un sourire lumineux pendant que le jeune inconnu posait le repas sur le lit ; il tendit la main et saisit les couverts tandis que l’autre remplissait son verre en prenant la parole.
- Je m’appelle Sariel. Ton père m’a chargé de m’occuper de toi jusqu’à ce qu’il arrive.
Zachary releva les yeux sur lui, la fourchette stoppée à mi-chemin entre l’assiette et sa bouche.
- Mais c’est où, ici ?
- Tu demanderas ça à ton père quand tu le verras.
Le garçon resta silencieux, préférant continuer de manger et garder ses questions pour après. Sariel ne disait rien non plus, restant à genoux au pied du lit en attendant que l’enfant ait fini son repas. Finalement, quand ce fut fait et le plateau débarrassé sur la commode, Zachary brisa le silence.
- Mais pourquoi mon Papa peut pas être avec moi ?
- Tu sais, il est très occupé, et il viendra tout à l’heure ^_^ En attendant, il va falloir te contenter de moi.
- T’es sûr que tu veux rester avec moi ? Si Papa est très occupé, tu dois l’être aussi, non ? demanda le garçon sur un ton un peu gêné.
Sariel eut un sourire doux et si légèrement teinté de tristesse que le garçon ne le remarqua pas.
- Non, je ne suis pas aussi occupé que ton père, et mon travail sera de m’occuper de toi tout le temps à partir de maintenant.
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Quelques jours plus tard, Zachary se réveilla, toujours dans la même chambre, et encore une fois avec la vision de Sariel qui lui souriait doucement. Le jeune homme, en très peu de temps, avait commencé à faire office de grand frère pour le garçon et commençait lui-même à s’attacher à cet enfant qui ne demandait qu’un peu d’affection.
Pendant que le petit blond finissait de se réveiller et prenait son petit-déjeuner, Sariel se dirigea vers l’armoire et en sortit une sorte d’uniforme constitué d’une chemise noire, d’un pantalon de même couleur, et d’une veste longue couleur crème.
Quelques minutes plus tard, il aidait le garçon à s’habiller tout en commençant à lui expliquer, d’une manière un peu plus sérieuse qu’à l’accoutumée, au moment de son réveil.
- je vais t’amener voir ton père. Dans quelques minutes, tu seras devant lui, et il faudra que tu te tiennes bien.
Comme l’enfant ne répondait pas, Sariel ajouta, sur le ton de la plaisanterie :
- Donc il est hors de question que tu te mettes les doigts dans le nez ni que tu fasses des grimaces dans son dos ^^.
- Non noooooon ! répondit Zachary avec l’air angélique d’un petit diablotin.
Le jeune homme aux cheveux violets sourit calmement. Il appréhendait la rencontre entre Nathanaël et son fils, mais ne voulait pas inquiéter l’enfant, aussi se contenta-t-il de sourire gentiment aux babillages du garçon.
Une fois habillé, Sariel conduisit Zachary le long de couloirs sombres et étroits qui ne ressemblaient pas du tout à ceux qu’il avait vu lors de son arrivée dans l’étrange bâtisse. L’enfant commençait à être un peu nerveux et saisit la main de son guide pour essayer de se rassurer. Ils s’arrêtèrent devant une porte et le jeune homme frappa doucement. Quelques instants après, l’invitation à entrer se faisait entendre et il tourna la poignée.
Nathanaël se tenait dos à la porte, regardant à l’extérieur par la large fenêtre qui se trouvait juste en face d’eux et laissait entrer le soleil, éclairant la grande pièce peinte de couleurs claires. Sariel se racla la gorge pour signifier leur présence et sortit pendant que l’homme se retournait vers son fils. Le garçon sourit et se retint de sauter au cou de son père. Il suivit à la lettre les recommandations qui lui avaient été faites quelques minutes plus tôt. Tout se déroula sans encombres et une heure plus tard, ils entendirent quelqu’un frapper à la porte. Sariel apparut et Nathanaël congédia Zachary.
Sur le chemin du retour, le jeune homme aux cheveux violets s’enquit de ce qui s’était passé pendant cet entretien. Le garçon lui expliqua avec enthousiasme qu’il devait y retourner le lendemain à la même heure, et qu’il allait à nouveau avoir des cours, mais à la maison cette fois-ci. Sariel sourit à cette évocation. Le concept de « maison » était venu très rapidement à l’esprit de l’enfant. C’était aussi bien comme ça. Vu le temps qu’il allait y passer, mieux valait qu’il y soit bien, et c’était son rôle, à lui, d’y veiller.